L’IMPROVISATION MUSICALE : Quelques points de repère
L’Improvisation musicale,
mode d’emploi en 36 points
Quelques points de repère pour ceux qui ne savent pas comment aborder l’improvisation
1 / Chacun d’entre nous est plus ou moins capable d’improviser. Nous le faisons tous, plusieurs fois dans la journée, lors d’une conversation à bâtons rompus.
2 / Dans ce cas, nous utilisons le plus souvent notre langue maternelle. Une langue suffisamment bien assimilée pour nous permettre de la liberté dans son maniement.
3 / La musique, elle aussi, est un langage. Elle utilise un vocabulaire qui lui est propre (les rythmes, les notes, les accords) et une grammaire (l’articulation de ces «mots» entre eux). Cette grammaire varie selon les styles musicaux, et selon les diverses traditions musicales.
4 / Improviser suppose donc d’assimiler suffisamment bien un langage musical, quel qu’il soit, pour pouvoir jouer avec lui.
5 / En Occident, l’apprentissage traditionnel de la musique se fait souvent de façon un peu trop exclusive par rapport à la partition écrite.
6 / Pourtant, l’improvisation existe dans la plupart des traditions musicales. Y compris dans le monde de la musique classique : Bach, Mozart ou Beethoven étaient également connus comme improvisateurs.
7 / En fait, composition et improvisation sont complémentaires. La première confère à la musique une structure indispensable. C’est elle qui donne un sens et une intention définie à la musique. Ensuite, lors de son interprétation, une part plus ou moins importante de liberté va insuffler de la vie à la musique.
8 / Il y a donc toujours une part de liberté, même dans l’exécution d’une partition complexe.
9 / Mais l’apparition du jazz dans la musique occidentale nous a rappelé l’intérêt de l’improvisation comme un mode d’expression simple et direct pour le musicien.
10 / En revanche, l’apprentissage de l’improvisation n’est pas toujours organisé de façon rationnelle. Il se fait le plus souvent en autodidacte ou de façon orale. Ce qui trouble quelque peu certains, qui sont habitués à l’organisation bien établie de l’apprentissage dans la musique classique.
11 / Le jazz est l’un des rares domaines à avoir développé une pédagogie spécifique de l’improvisation. Elle est explicitée dans différents ouvrages et enseignée dans les écoles de jazz.
12 / Toutefois, en même temps que cette pédagogie se développait, la musique de jazz devenait plus savante, plus complexe. Ce qui fait que, malgré son intérêt, elle ne s’adresse pas toujours à tous.
13 / Quels conseils préalables peut-on alors donner à quelqu’un qui veut aborder l’improvisation ?
14 / Un point primordial concerne l’acquisition d’une liberté rythmique : pouvoir varier librement les figures rythmiques par rapport à une pulsation, tout en respectant un cadre donné (une mesure ou un groupe de mesures). (*)
15 / En effet, la mémoire des gestes acquis lors de la pratique rythmique est une mémoire très vivace. Une fois ceux-ci assimilés, ils constituent un réservoir de possibilités facilement utilisable dans l’improvisation.
16 / Par ailleurs, le rythme est une des composantes les plus universelles de la musique. Les mêmes bases rythmiques se retrouvent dans la plupart des traditions musicales.
17 / Les choses se diversifient un peu plus pour ce qui concerne le choix des notes ou l’utilisation de gammes. Mais on peut tout de même dégager certains archétypes communs à la plupart des musiques : par exemple, la gamme pentatonique, la gamme diatonique, les triades majeures, mineures ou en 4tes.
18 / En s’inspirant de ces bases, l’utilisation de notes, de gammes et plus encore l’utilisation d’harmonies dans l’improvisation doit être introduite progressivement. Le but à viser est que l’esprit ne soit pas trop mobilisé par la réflexion intellectuelle et qu’il reste disponible pour imaginer. (**)
19 / Si l’on regarde ce qui se pratique dans différentes musiques du monde, l’improvisation autour d’une gamme ou d’un mode est une pratique courante. On choisit au préalable une gamme, quelle qu’elle soit, ou un groupe de notes qui vont servir de réservoir de notes pour l’improvisation.
20 / Dans un premier temps, il faut commencer avec peu de notes : 3, 4 ou 5 notes (exemple : la gamme pentatonique chère aux musiciens de blues). A partir de ce réservoir de notes réduit, il faut s’attacher à imaginer des solutions variées.
21 / Puis on étend progressivement ce réservoir de notes à des gammes de 7 notes (comme les modes grecs ou la gamme altérée, tous très employés dans le jazz).
22 / Pour expérimenter l’improvisation sur des harmonies, on va là aussi procéder très progressivement : d’abord sur des courtes séquences harmoniques (2, 3 ou 4 accords), ou sur des cadences harmoniques usuelles. Et ce, toujours en commençant par choisir seulement quelques notes facilement utilisables sur ces harmonies, puis ensuite en élargissant ce choix de notes.
23 / Si vous savez adapter ces étapes à votre niveau, vous devez constater que votre esprit est suffisamment délivré des préoccupations techniques pour laisser libre cours à votre imagination et à votre sensibilité.
24 / Ce point est essentiel. L’improvisation est un jeu. Comme pour tout jeu, il y a des règles. Et le plaisir du jeu vient de la liberté dont on peut faire preuve à l’intérieur de ces règles.
25 / Car ces règles peuvent être plus élaborées. Et, pour cela, les diverses musiques du monde utilisent des langages plus subtils.
26 / C’est le cas, par exemple, de la musique indienne, dans laquelle la hiérarchie entre les notes du mode est définie avec précision.
27 / C’est aussi le cas de la musique tonale occidentale, avec une hiérarchie définie entre ses degrés, une utilisation spécifique des chromatismes et des notes d’approche et, bien sûr, une harmonie qui peut être très élaborée.
28 / De même, le jazz a développé un langage spécifique dont l’harmonie et le développement mélodique associent tonalité et modalité.
29 / Improviser à l’intérieur de ces langages suppose de maîtriser chacun de façon spécifique. De même que l’on peut parler plusieurs langues, on peut maîtriser plusieurs langages musicaux. Mais cela demande une pratique spécifique pour chaque style.
30 / Par ailleurs, si toutes ces considérations techniques visent à libérer l’esprit de l’improvisateur, celui-ci doit aussi faire preuve de pertinence par rapport au contexte.
31 / Certaines musiques fournissent un cadre pour une improvisation relativement libre. D’autres, au contraire, supposent de comprendre suffisamment bien la musique sur laquelle on improvise pour ne pas dénaturer la composition.
32 / Parfois, l’apport du soliste peut se limiter à une simple paraphrase du thème, voire même à de légères ornementations mélodiques ou rythmiques dans l’exposition du thème.
33 / Ces procédés offrent une alternative à l’approche de l’improvisation qui peut être intéressante : on brode autour d’un thème en prenant plus ou moins de liberté.
34 / Car, si l’improvisation consiste à s’adapter à un contexte sans cesse renouvelé (autres musiciens, lieu, auditeurs), elle est aussi un dialogue avec la forme fixe que constitue la composition.
35 / Son but consiste donc à sentir ce dont la musique a besoin à un instant donné.
36 / C’est lorsque cet équilibre entre compréhension de la musique et spontanéïté est atteint que la musique se fait entendre dans sa plénitude.
(*) Vous pourrez trouver des conseils pour développer cette liberté rythmique dans mes ouvrages parus aux Éditions Outre Mesure : Rythmes et Les Cahiers du Rythme vol.1, 2 et 3.
(**) Plusieurs ouvrages issus de la pédagogie du jazz abordent cette question. Pour ce qui me concerne, je l’ai traitée dans Le Langage de l’Improvisation / Mémento (Éd. Musicom).